CERVEAU
LES DERNIERES VICTOIRES QUI SAUVENT DES VIES ( 2 / 2 )

Scanner 3D volume rendering métastases intracérébrales - Photo Dr Rodolphe Gombergh De nombreuses tumeurs et des AVC qui, hier encore, condamnaient irrémédiablement les malades ne sont plus une fatalité.
La révolution technologique dans le monde médical a permis des guérisons spectaculaires.
Les Prs Alexandre Carpentier, Jean-Louis Mas et les Drs Sorin Aldea, Mikael Mazighi et Charles-Ambroise Valéry décrivent ces grandes avancées. (dernière partie de notre grand dossier).
NOTA : lire la 1° partie du dossier
Pour des tumeurs inopérables il y a dix ans: une révolution technologiquePour la très grande majorité des gens, le cerveau, c’est mythique : « Ça ne s’ouvre pas. »
Les malades auxquels on annonce qu’ils doivent subir une intervention à crâne ouvert sont le plus souvent saisis d’un instant de panique.
« Puis, après ce coup de massue, déclare le Dr Sorin Aldea, l’instinct de survie leur fait accepter l’incontournable.
Leur plus grande crainte est alors de se retrouver handicapés.
Il nous faut rassurer, expliquer les grands progrès qui permettent aujourd’hui d’opérer de très nombreuses tumeurs sans séquelles. »
Avec les nouvelles IRM 3 Tesla, une détection dès 2 millimètres de diamètre !Quelles soient bénignes ou malignes, les lésions cérébrales peuvent avoir les mêmes symptômes annonciateurs : maux de tête, faiblesse d’un voyageur, difficulté de parole, tremblements…
Comment s’assurer qu’une tumeur n’est pas à l’origine de ces troubles plutôt qu’une maladie dégénérative ?
Grâce aux formidables innovations de l’imagerie médicale – on peut parler de révolution –, il est désormais possible de déceler une anomalie à un stade ultraprécoce, quand elle mesure à peine 2 millimètres.
« Les tout derniers appareils d’IRM 3 Tesla (en trois dimensions), explique un grand spécialiste, le Dr Rodolphe Gombergh, permettent d’obtenir des images extrêmement fines des lésions cérébrales.
Autre avancée :
l’IRM fonctionnelle complète les informations en localisant de façon précise les zones à haut risque en cas d’intervention.
Avec cette nouvelle technique, on peut analyser la vascularisation d’une tumeur : la multiplication des séquences permet d’orienter le diagnostic vers un caractère bénin ou malin. »
« Comme l’IRM ne suffit pas pour établir un diagnostic précis, poursuit le Pr Alexandre Carpentier, il est nécessaire de prélever un microfragment par une biopsie (avec aiguille transcranienne) ou bien de l’effectuer lors d’une opération chirurgicale.
Une nouvelle méthode d’analyse nous fournit maintenant des informations supplémentaires : on peut identifier en laboratoire les anomalies génétiques des cellules tumorales.
Un procédé qui sera d’une aide précieuse pour orienter le choix de drogues d’une chimiothérapie. »
Que la lésion soit bénigne ou maligne, elle pose un même problème : celui du volume.
Le crâne étant une boîte inextensible, si la lésion devient trop volumineuse, elle va provoquer une hypertension crânienne, menaçant ainsi le pronostic vital.
Il faut donc, à chaque fois que c’est possible, pratiquer une ablation chirurgicale.
La neuronavigation : un GPS pour une chirurgie planifiée par ordinateurPour opérer avec un maximum de précision, cette récente procédure permet au chirurgien, quelques heures avant son entrée au bloc, de planifier le moindre geste de son intervention.
Le cliché d’IRM du patient est stocké dans une console informatique munie d’un écran, d’un pointeur à rayonnement infrarouge (ou crayon optique) et de deux caméras.
Sur l’écran, cette image apparaît en trois dimensions.
Le jour J, au moyen de son pointeur, l’opérateur commence par effectuer un recalage virtuel entre le crâne du malade et l’image sur l’écran.
Grâce à la neuronavigation, le chirurgien sait très exactement où il se situe par rapport aux zones cérébrales à risques.
Une précision des gestes qui peut être supérieure à celle obtenue par la vision humaine.
Avec une plus grande sécurité opératoire : une mortalité proche de zéro et moins de 5 % de séquellesQuand les chirurgiens expliquent aux patients que les dernières techniques permettent d’opérer beaucoup mieux avec moins de risques de handicap, ils disent la vérité.
Pour le Dr Sorin Aldea, cette plus grande sécurité a été acquise en plusieurs étapes.
« Les protocoles chirurgicaux classiques (les mêmes pour les tumeurs bénignes ou malignes) consistent à ouvrir le crâne pour extraire la tumeur.
On doit les premiers progrès à l’arrivée d’outils innovants (comme le microscope avec fluorescence tumorale) qui permettent d’effectuer avec beaucoup plus de précision nos gestes opératoires, de préserver davantage les tissus sains, tout en enlevant le maximum de tumeur.
On peut ensuite parler d’une révolution silencieuse avec la mise au point d’une technique conçue pour réduire, voire éviter, l’écartement du cerveau pendant la chirurgie.
Ce dernier comporte des pliures propres à chaque individu, comme les empreintes digitales. Avec cette procédure originale, on dissèque uniquement à travers les fissures du tissu cérébral, ce qui le protège bien davantage !
Résultat : les patients récupèrent beaucoup plus vite, avec une durée d’hospitalisation plus courte.
Aujourd’hui, les décès dus à la chirurgie sont devenus très rares : moins de 1 %.
Les risques de séquelles (paralysie, difficultés de mémoire, de langage…) ont eux aussi considérablement diminué : moins de 5 %.
Pour les petites tumeurs inopérables : un bistouri virtuel, le Gamma KnifeLorsqu’une tumeur est de petite taille et qu’on connaît son diagnostic, on envisage une technique de radiochirurgie.
Mais elle n’est réalisable qu’à condition de ne pas dépasser 3 centimètres de diamètre.
« Avec ce traitement, explique le Dr Charles-Ambroise Valéry, des faisceaux très fins et convergents de rayons gamma ciblent très précisément la tumeur, afin de la détruire tout en préservant les tissus sains.
Cette dose unique à haute énergie est délivrée en une seule séance. Cette technique, qui a permis de sauver de très nombreux malades auparavant inopérables, est aussi utilisée quand le chirurgien n’a pas pu enlever la totalité de la tumeur.
Au début des années 2000, avec l’arrivée du Gamma Knife Perfexion, on a encore amélioré ces traitements.
Grâce à ce bistouri “virtuel”, on préserve mieux les tissus avoisinants et on calcule encore plus précisément les doses de rayons gamma.
Cette avancée nous donne aujourd’hui la possibilité de cibler des zones à risques que l’on n’osait pas aborder.
Les résultats sont tels (95 % de succès) que, pour les métastases et certaines lésions bénignes (névralgie du trijumeau, neurinome de l’acoustique…), on remplace d’emblée la chirurgie par le Gamma Knife quand la lésion ne dépasse pas 3 centimètres. »
La chirurgie du futur : des opérations à crâne ferméIl y a quatre ans, une équipe française conduite par le Pr Alexandre Carpentier avait publié les premiers résultats d’études très encourageants obtenus avec un traitement par laser à crâne fermé.
Les essais avaient alors été effectués chez des malades atteints de métastases récidivantes.
« Depuis, précise le neurochirurgien, cette technique est quotidiennement pratiquée aux Etats-Unis dans plus d’une vingtaine de centres.
Aujourd’hui, mes travaux consistent à améliorer encore cette procédure, en remplaçant le laser par des ultrasons, qui ont des effets multiples : ils peuvent chauffer pour détruire, stimuler, ouvrir des vaisseaux, potentialiser les chimiothérapies…
On a pu constater récemment leur efficacité sur des cancers de la prostate.
Pour le cerveau, plusieurs équipes creusent cette même piste.
Les études portent sur deux modalités complémentaires.
L’une (du Pr Fink de l’Ecole supérieure de physique et chimie industrielle de Paris) utilise des émetteurs extérieurs d’ultrasons qui, à travers le crâne, convergent vers la tumeur.
Celle de ma propre équipe, à l’université Pierre-et-Marie-Curie (aidée par la start-up CarThéra), consiste, lors d’une biopsie diagnostic, à introduire dans la tumeur un cathéter muni d’une centaine d’émetteurs ultrasonores.
Nous travaillons maintenant sur d’autres émetteurs qui rendent les vaisseaux cérébraux temporairement plus perméables afin de renforcer les effets des chimiothérapies.
Bonne nouvelle : sur l’animal, ça fonctionne !
Entretien réalisé par Sabine de la Brosse